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23/01/2016

Ron Rash : Le Chant de la Tamassee

ron rash, edward abbeyRon Rash, né en Caroline du Sud en 1953, titulaire d’une chaire à l’Université, écrit des poèmes, des nouvelles et des romans. Son premier roman paru en France en 2009, Un pied au paradis, avait fait forte impression et Serena en 2011, l’imposera comme l’un des grands écrivains américains contemporains. Son nouveau roman, Le Chant de la Tamassee, qui vient tout juste d’être traduit chez nous, date de 2004.

Frontière naturelle entre la Caroline du Sud et la Géorgie, la Tamassee est une rivière sauvage qui va devenir le lieu d’un drame épouvantable quand Ruth, une gamine d’une douzaine d’années, venue pique-niquer dans le coin avec ses parents, va s’y noyer. Le corps, coincé sous un rocher à proximité d’une chute d’eau ne pouvant être dégagé par des plongeurs professionnels, le père de l’enfant engage un ingénieur inventeur d’un barrage flottant pour détourner temporairement le cours de la rivière et ainsi récupérer les restes de son enfant. Deux camps vont s’affronter, ceux qui veulent aider les parents à faire leur deuil et les environnementalistes qui souhaitent conserver leur rivière intacte en s’appuyant sur une loi fédérale qui interdit qu’on en perturbe le cours naturel et les abords, sous peine de créer un précédent.

Je suis toujours admiratif devant les écrivains, comme Ron Rash, qui réussissent à mettre beaucoup de belles et bonnes choses dans de courts romans, j’y vois là, un des critères du talent. Et ce roman n’en manque pas, de belles et bonnes choses. Sans qu’on puisse qualifier le bouquin de dense, chaque page est pleine de sens ou d’émotion, aucune phrase en trop, aucun mot superflu, le lecteur est d’emblée happé par la puissance évocatrice de l’écriture de l’écrivain. On visualise parfaitement les scènes et les décors somptueux de cette région où la nature sauvage a encore ses droits, on entre avec justesse dans la psychologie des personnages où les deux camps opposés ont des arguments recevables amenant le lecteur à douter sur le parti à prendre.

Maggie Glenn, la narratrice, journaliste-photographe originaire de ce village, y revient pour couvrir l’évènement en compagnie de son collègue et plume, Allen Hemphill. Tous deux se débattent avec des passés douloureux, elle avec son vieux père mourant, lui avec sa femme et sa fille décédées. Et puis il y a Luke, un ex-amant de Maggie, écolo pur et dur qui mène la campagne anti-barrage (et là on songe à Edward Abbey).

Opposition entre les natifs du coin qui veulent conserver la pureté et la virginité de leur rivière et ceux venus d’ailleurs qui les prennent pour des ploucs et veulent leur imposer leur manière de voir à l’encontre des lois. Un débat écologique toujours très actuel et quasi universel. Mais il y a aussi ces parents qui veulent faire leur deuil. Cruel dilemme. D’autant que les écolos ont aussi des arguments concrets à avancer et qui ne manquent pas de bon sens.

Dans ce débat interviendront aussi la religion évidemment, les hommes politiques, mais aussi la presse et ses caméras attirées par le drame comme vautours par la charogne et Ron Rash de s’interroger sur le journalisme, texte ou photo, qui dit le mieux la vérité ? La presse reflète-t-elle les faits uniquement ou bien interfère-t-elle dans leur déroulement ? Maggie elle-même ne sait plus très bien… 

Hymne à la nature, le roman se termine par une sorte de pied de nez à la technique moderne et aux règlements obtus, en réhabilitant une bonne vieille méthode à l’ancienne qui a toujours fait ses preuves dans le coin.

Un excellent roman, très prenant car extrêmement touchant et émouvant comme vous l’avez compris.

 

« Brennon semblait abasourdi. « Etes-vous en train de me dire que vous ne voudriez pas que je construise ce barrage s’il s’agissait de votre fille ? » a-t-il demandé. Luke a rendu les photocopies à sa voisine. Il a ôté ses lunettes et les a remises dans la poche de sa chemise. « Je n’ai pas de fille, a-t-il dit, d’une voix qui n’était plus belliqueuse mais presque tendre. Pourtant, si j’en avais une, qu’elle était morte et que je savais que rien ne lui rendrait la vie, je ne vois pas de meilleur endroit que la Tamassee où je voudrais que son corps repose. Je voudrais qu’elle soit là où elle ferait partie de quelque chose de pur, de bon, d’immuable, ce qui nous reste de plus proche du paradis. Dites-moi où, sur cette planète, il y a un endroit plus beau et plus serein. Indiquez-moi un lieu plus sacré, monsieur Brennon, parce que je n’en connais pas. » »

 

 

ron rash, edward abbeyRon Rash  Le Chant de la Tamassee  Seuil  – 232 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez